mardi 29 septembre 2015

Liberté - libéralisme / Individualité - individualisme

En à peine quelques années, une partie de la population mondiale s'est liée à un réseau de communication et d'information inter-connecté. Défauts et qualités humaines s'y sont trouvés aussitôt impliqués. Le capitalisme, qui a emprunté le terme de libéralisme, est hanté par cette tension et cette contradiction qu'éprouve la liberté humaine, sa liberté de créer, de communiquer, sa liberté de partager, de vendre ses inventions et de rentabiliser même l'expression de son identité. Nous pouvons continuer à idéaliser la notion de liberté mais force est de constater que notre époque a su tirer un profit extraordinaire de cette pulsion naturelle afin d'organiser ou de maintenir une hiérarchie au bout de laquelle très peu de gens sont invités à partager le même banquet. En accédant aux réseaux d'inter-connexion, l'homme a dû troquer son intimité et sa libre expression. Téléphones, radios, télévisions, internet, réseaux sociaux, reality shows, blogs, autant de médias et d'applications qui nous mettent en relation et mettent en représentation nos individualités quelconques et singulières. L'édification des modèles de l'histoire occidentale pourrait-il avoir influencé ce besoin général de représentation et de reconnaissance ? Je ne détiens malheureusement pas un appareillage assez ample pour deviner la subjectivisation progressive dans les concepts influents de l'histoire mais je peux déceler dans l'apparition des Droits de l'Homme une de ses curieuses déformations. 

L'impératif républicain, face aux anciennes hiérarchies sociales dominantes, a permis la reconnaissance de l'individu, de ses choix de vie et de ses opinions, et plus récemment de l'enfant et de la femme. Ces progrès ont permis à l'individu d'acquérir aux yeux de la loi une première autonomie, une première indépendance de pensées et d'actions. Ses libertés personnelles s'en sont trouvées renforcées. Il lui est par exemple possible d'être un travailleur libre sans avoir à appartenir à une caste dévolue ou à un seul secteur d'activités; il lui est possible d'être indépendant dans sa pratique et tout autant créateur de sa discipline. Émancipation né de la révolte et de la récupération de droits pour l'homme et pour sa propre liberté, mais cette application est toujours menacée au regard de l'esclavage comme une continuité technique de domination et comme un relais de ses crimes. La jeunesse de ce progrès et sa laborieuse intégration conduisent potentiellement à un mieux-vivre. La liberté d'entreprendre, l'obtention, la "gagne", la victoire, appellent les lauriers, les médailles et le podium, donc la représentation de soi. La découverte du gain de sa propre image et de sa diffusion médiatique ne déborderait-elle pas de cette nouvelle situation ? Les "communiquants" ont d'ailleurs bien compris le système en usant d'images et de photographies trompeuses. Se présenter au monde sous son meilleur jour est bien le meilleur moyen de naviguer dans une économie qui repose sur la publicité. La commercialisation des objets, des échanges et enfin de toutes les valeurs auxquelles l'homme aspire, a, elle aussi, subi la dérégularisation des marchés. Dès qu'on a compris comme contourner la loi, inventer de l'argent et manipuler l'opinion, tous les sujets sont bons, toutes les vols de concepts sont opportuns. On pourrait faire ici résonner le sinistre slogan, initialement capitaliste, "Arbeit macht frei", qu'on a d'abord trouvé comme enseigne au-dessus des usines puis dans l'entrée des camps de concentration et des goulags. "Le travail rend libre" mais quel travail et pour quelle liberté ?

mardi 6 mars 2012

Pour Mathilde Monfreux, Elizabeth Saint-Jalmes, leurs poumons, leurs intestins.

Mathilde Monfreux prend le parti de mettre son corps en état de métamorphose, quitte à le mélanger au public qui vient lui rendre visite. Après le long périple de son Projet Cochon dans lequel elle explorait sa relation avec l'ingestion de l'animal et ses influences consenties, Mathilde Monfreux va plus loin et se sépare lentement de la voie générale. Être soi-même l'objet de son appétit,  se servir de soupe humaine comme terrain de langage et de mouvements, voilà ce que bien souvent les artistes tentent d'éviter, par survie, par bon sens, pour ne pas avoir à se blesser ou à tout remettre en question. La catastrophe ou le courage n'est plus loin quand le postulat créatif réduit l'homme à son appareil digestif. Tube la dernière performance de Mathilde Monfreux, pensée conjointement et plastiquement avec l'artiste contemporain Elizabeth Saint-Jalmes, affirme d'emblée cette condition primitive, au risque de déplaire.

Ni putes, ni soumises, femmes exquises, gentlewomen de la crotte et de l'urine, lorsque ces deux dames collaborent, nulle censure à l'expression de ces traversées, de ces rendements. Si la sexualité n'est jamais éloigné de cette poétique en marche, c'est que formellement, l'anus est voisin du vagin. Alors expulsions, pénétrations, ingestions constituent les mouvements propres de ce discours sensible, où il est beaucoup plus question d'acceptations biologiques que de plaintes expressionnistes. Dans un commun refus d'asservissement biopolitique, les deux dames fabriquent des danses, des objets les plus dingues et les plus fidèles à leur quête de transmission. Si je les ai bien compris, il n'y a pas de raison de distinguer les médiums utilisés, on parle de tout à fait autre chose et on insiste en ce sens. La danse-contact, la sculpture, le design, le dessin, le poème sont à confondre pour un but précis : "remettre les pendules à l'heure". Le nourrisson se déploie à partir de son tube digestif. L'adulte en a-t-il encore conscience ? Sait-il que ses organes de prédation naturelle lui dictent nombreuses pensées et attitudes "artificielles"? Il y a sans doute peu de meilleurs témoins que les artistes du vivant pour témoigner de cette réalité. Le poète et théoricien de théâtre Antonin Artaud en avait payé de sa santé et de son statut social. Oui, ce n'est pas sujet lisse, quoique... Disons qu'il ne s'agit pas d'un plateau stable, tout est modification, impermanence, transfert, entropie, rien n'est sûr et consignable. La poésie prend le lied dans cette nouvelle étape. Elle est un cheval sans selle. Nous croisons ses chimères, devenir-animal, devenir-machine, le temps s'abroge pour faire place à des sensations fantastiques. Les néons sonores et fragmentées de Guillaume Pons exacerbent nos perceptions individuelles.  L'outil géant et mou d'Elizabeth Saint-Jalmes pend dans un espace renouvelé, ouvert à nos mémoires. Les partitions glossolaliques et ultra-changeantes de Mathilde Monfreux nous meuvent, frayent en nous une ode régénérante, affutée comme une lance invisible, comme un larsen.


Sylvain Pack.

samedi 16 avril 2011

Quête de non sens

 (Prémices d'un art humain retour)

Il y a un doute légitime, une suspicion précise sur la formulation d'un sens que proposerait l'oeuvre d'art. Transcendance, Critique, Sublimation, Représentation pourraient figurer parmi les notions esthétiques redoutées par certaines démarches et techniques marquantes du dernier siècle. Nous pourrions chercher des raisons mais je crains qu'elles soient par trop multiples selon les personnalités engagées (parfois malgré elle), dans cette quête de non sens. On pourrait évoquer le défi philosophique athéiste, la poésie païenne, le théâtre de l'absurde, la saturation du spectacle, l'art pour l'art, l'invention du quotidien*(...) mais il y aurait le risque regrettable d'ajouter à ces oeuvres et ces processus un nouveau sens, réactionnaire, ou, pire, visionnaire. Est-ce à dire qu'il s'agit d'un art paranoïaque, mû par la peur, le dégoût et le refus de l'histoire ?... peut-être tout au contraire, une volonté antique et primitive y oublierait consciencieusement le temps et l'espace, habituellement traités, organisés par la pratique artistique, au fait des progrès scientifiques, de l'importance des théories empiriques, un pied dans le Yi-King, un autre dans la physique quantique.

Je vois immédiatement se dessiner certaines pièces de Merce Cunningham et John Cage. Travaillant chacun de leur côté sur des compositions aléatoires, tirant leurs sections écrites au dé ou à la pièce, faisant se rencontrer, lors d'une représentation publique, leur objet distinct, invitant des plasticiens au même jeu et reléguant le temps au rôle, appauvri, de chronomètre. Ces manifestations et d'autres plus anciennes, dadaïstes et même romantiques, auront des conséquences explicites sur les partitions, le mouvement et les matières dont vont se servir les artistes. La Judson Church rassemblera à New York tous les expérimentateurs curieux de métissage et de nouveauté, disqualifiant les frontières entre pratique dansée, performée ou plastique. La danseuse et chorégraphe Anna Halprin y testera tous les processus de temps réel, d'espace de représentation désacralisé pour être finalement rejoints par les non-moins influents et singuliers Trisha Brown, La Monte Young, Robert Morris, Bruce Nauman, Meredith Monk, Yvonne Rainer, Bruce Nauman, le Bread and Puppet Theater, Terry Riley... Pourtant où peut-on distinguer vraiment chez ces créateurs une quête de non-sens ?

Il y a dans l'écriture chorégraphique de certaines de ces personnes de nombreux moments dévolus à l'inattendu. Tandis que nous suspectons la destination évidente d'une trajectoire corporelle, le schéma se rompt et vaque à un épanouissement tout à fait contraire à notre compréhension, ou même à la nature de ce qu'il manifestait. Plus tard, dans les propositions scéniques de la non-danse, de l'improvisation et des performances actuelles, cette forme d'écriture semble être assimilée comme une technique en soi. A-t-elle été analysé ou est-elle passé dans le langage de l'art vivant comme la signature invisible d'une révolution de la perception ? 
Ouvrant habilement ou instinctivement la provocation de Marcel Duchamp (ce sont les regardeurs qui font le tableau), Julyen Hamilton, créateur et transmetteur de la Composition Instantanée**, aime à répéter que cette révolution, cette inversion est immémoriale. Aucune nécessité de créer du sens dans une pièce, le spectateur aura toujours besoin de le faire pour lui-même. Il ne peut pas s'en empêcher.


Hors ces formes improvisatoires, performances ou dispositifs ouverts ont précisé leur langage depuis, grâce notamment à ses précurseurs qui n'ont pas cédé à des spectacularités faciles, mais aussi et surtout grâce aux communautés qu'ils ont créé à travers le monde. Je pense évidemment à ce courant qu'est le Contact Improvisation, qui irrigue la danse depuis 40 ans, créé par Steve Paxton et Nancy Stark Smith lors d'ateliers de recherches personnels et dont est issu Julyen Hamilton. Il suffit de savoir que les multiples jam-cessions, se déroulant aux quatre coins de la planète, rassemblent aujourd'hui autant de savoirs kinesthésiques, martiales, théâtrales et performatifs pour imaginer le nombre de croisements de ces connaissances. Il y a enfin un lien évident qui existe entre les hautes technologies, celles d'internet et de la robotique, et ces mouvements en cours. Cette quête du temps réel, de la perfection mécanique et de la métamorphose est un point de convergence. Elle nécessiterait un autre développement analytique.

* Michel de Certeau
** Composition Instantanée : Pratique perfectionnée de l'improvisation en un espace-temps défini par ses participants.

Sylvain Pack.

mercredi 16 mars 2011

Prémices d'un art humain

Cette tentative d’analyser et de deviner un nouveau courant  artistique est rédigé au bord du précipice. Métaphore relative à des acceptions du temps très différentes : accélération technologique pour certains, histoire de l’humanité pour d’autres. C’est pourtant dans ce trouble interstice qui nous sépare d’une désagrégation de la planète que je choisis d’imaginer les prémices d’un "art humanitaire". Ce terme prête à confusion. On devrait en trouver un autre mais il revêt, en attendant, ce caractère d’urgence, ce rappel au réel de la crise humaine et écologique que connaissent la terre et ses occupants. 
Ses manifestations d'une voie nouvelle évitent la classification des médiums, privilégient la nécessité, l’utilité, la réaction. Même si elles sont issues de pratiques identifiées (beaux arts, littérature, danse ou théâtre…), elles s’en servent à des fins efficientes. Aucun art qui pourrait s’apparenter à ces effets n’en est exclu. Aucun moment de contemplation n’est considéré comme inutile, aucune neutralité n’est suspecte de lâcheté, aucune conceptualisation ne pourra être assimilée à un égoïsme élitaire. Toute façon, tout procédé est le bienvenu.

Les définitions de l’art pour l’art auxquels se sont adonnés de nombreux théoriciens et artistes ont été défendues de haute lutte. Procès, assassinats, censures ont été les prix à payer pour l’indépendance et la liberté des paroles d’artistes. Il n’est pas question pour un art nouvellement utile d’être pris au piège par ses opposants, ses manipulateurs ou plus récemment par ses spéculateurs et de mettre ainsi à sac, tout ce processus d’autonomie de l’œuvre d’art. En revanche pas de doute sur le résultat et son impact. S'il la pièce achevée est trans-genre, elle expérimente le réel, elle se faufile, épouse les codes du marché, s'infiltre, se camoufle, piège sa production pour arriver à ses fins. Et son but est précis, pour une modification d'un réel sociétal et environnemental, attaquant scandaleusement les idées qu'on s'en fait (qui nous enchaînent à son avenir), proposant en échange, offrant en perspective : don, inclusion, empathie, attention... 

On pourrait se dire qu'il s'agit là du propre des oeuvres d'art. Prêter des émotions, provoquer un instant, se décaler, se détacher, ouvrir sa perception, réveiller l'inconnu. Toute production invite un autre temps, découvre un nouveau ciel. C'est pour l'homme, comme sa respiration, indispensable de respecter sa nature créative et d'en extraire une habilité afin qu'il évacue son énergie et trouve une place parmi les siens. Oui, peut-être, mais pour cet art typiquement humain, il s'agit justement de cela: être au service d'une cause qui dépasse son créateur. Un acte venu sans doute d'un impératif créatif (lyrique, thérapeutique, communicant...) mais qui concerne éminemment le corps groupal, l'autre, la planète, le rhizome, le foyer biologique et les moyens, si ce n'est de s'y épanouir, de nous y intégrer. 


Peu importe la rupture ou la discontinuité à revendiquer dans l'histoire de l'art, ce mouvement de préoccupations et de consciences n'est pas soucieux de prévaloir ses motifs de rejet de l'ancienne garde. XIXème et XXème siècle se sont construits ainsi en briques, chacune voulant faire tomber l'autre, alors qu'il s'agissait d'un simple "tetris", d'un maillage si plane que Deleuze et Guattari ont parlé de plateaux. Le mur aboli, comme les tomettes en métal de Carl André, suspendus dans l'espace. Nous, aujourd'hui, faisant des lectures individuelles et collectives, jeux maintes fois vus et revus autant dans les écoles d'art que dans les universités : mentionner ses influences dans des petits cercles et les relier entre eux. N'y-a-t-il pas là la nécessité impérieuse de créer un sens à ces rapprochements ? Sens formel, sens conceptuel, sens politique ?

Je m'étonne d'arriver à ce point polémique du sens en art, débat souvent considéré comme douteux, voire réactionnaire. Motivant à la fois puisque il semble qu'une réalité artistique de ce début de siècle puisse aussi être interprétée comme une progressive et passionnante quête de non-sens (prochain article dont acte !).

Sylvain Pack.

mercredi 29 décembre 2010

Pour Bruno Dumont, tableaux et tabous.

Bruno Dumont dépose chacun de ses films dans le silence qui les habite. Le temps dévolue à la suspension, à l'intériorité déploie chez lui des images qui semblent toutes neuves, jamais montrées, cachées pourtant tout autour de nous. Le silence choisie, comme une proposition d'arrêter de penser ou de réfléchir offre d'autres disponibilités.

L'humanité
nous proposait de suivre les tourments affectifs d'un être marginal, vivant chez sa mère, dont tous les évènements du film tendaient à suspecter la morale. Le pire menace et traque la conscience du spectateur tout au long des séquences. Pourtant le silence de Bruno Dumont repousse notre colère, jusqu'à faire céder les acquis de nos propres jugements. Les tableaux demeurent, les couleurs du nord résistent et la grâce saisit peu à peu les longs déplacements de Pharaon, interprété par Emmanuel Schotte. Le pari pris sur la présence et la participation du spectateur est si affirmé qu'il induit, à la fin du film, un geste de confiance qui lui est alors remis. Bruno Dumont parle lui-même de victoire pour le spectateur. Ses films sollicitent effectivement en nous une autre qualité de réception, celle que demandent certains tableaux.
Cette lente inscription visuelle et sonore, transmise par la fréquentation d'oeuvres picturales, nous permet un temps plus adéquat à la con-naissance. Réapprendre sans les erreurs de l'accumulation ou d'un acquis scellé, renaître pour agir, c'est regarder les méandres, les consulter et les résoudre. Les tableaux parlants d' Hadewijch ou de Flandres inspectent ainsi sans avis interposé la violence et la quête d'absolu de l'homme par touches sûres et étudiées. Le réalisateur restitue la manière dont la lumière contraste et peut brûler la peau de personnes singulières pris dans un moment intense de leur parcours. (...)

mercredi 15 décembre 2010

Pour Alexandra Guillot et la poésie en art plastique.

La poésie plastique d’Alexandra Guillot a de nombreuses constances : certaines flexibles, souples même lâches, d’autres tenaces, sont extrêmement tendues, résistantes. Je me demande aujourd’hui par quoi commence-t-elle, dans quel ordre cela se fait, quelle rapport électif entretient-elle avec la matière ? Quand on vous amène à croire que vous circulez dans une forêt enchantée dans un lieu éminemment soporifique et faussement neutre d’une galerie ou d’un musée avec 5, 6 troncs en mousse découpés à la scie électrique pour gigot, y aurait-il quelques nécessités intérieures ou quelques envies de persuasion qui dépassent la simple virtuosité sculpturale ?


Cette pièce environnementale et féerique, plus auto-biographique qu’on ne le pense, est l’aboutissement de nombreux essais et connaîtra-t-elle encore sans doute d’autres activations. Je crois que l’exercice de répétition formelle est à la base de la majorité des réalisations d’Alexandra Guillot. Sans démonstration aucune mais en connaissance de causes (les dates et les photographies d’Opalka, les cartes et l’encre d’Alighero Boeti) Alexandra Guillot recouvre des cahiers à carreau d’innombrables croix distinctes, faites au stylo, les unes à côté des autres, remplissant chaque jour des pages, et des pages, et des pages… En existent-t-ils de parfaites ? Sur les milliers déjà tracées, y en aurait-il une identique à une autre ?

Ce travail d’anti-mort, de présence à la mort est une sombre introduction à l’éclosion et à la diffusion actuelle de son vocabulaire plastique mais il trouve légitimité dans l’observation de ses matériaux et de leurs agencements. Le stylo et le cahier en sont de redoutables. Évidents, fragiles, forts. On peut tous mourir. On va tous mourir mais nous en avons différemment conscience. Je crois qu’Alexandra Guillot le répète sans cesse sur ses cahiers du tout-le-monde. La vie du cahier est une prison inflexible sur laquelle l’artiste coche le temps. Et pendant que cette méditation active se répète, les cahiers deviennent peu à peu des sculptures solides et muettes, au milieu du vacarme des productions de l’art, redonnant toutes les libertés au vacuum de la papeterie, de la lettre, du message.(...)

Alexandra Guillot fait aujourd’hui une lecture toute personnelle de l’art post-moderne et de l’art contemporain. Tout comme l’utilisation constante qu’elle a du Yi-king, des bâtons et de la fumée, la jeune sybilline redistribue les cartes d’un jeu de l’art plus que secoué, pour en faire des énigmes individuelles, toujours plus coriaces, toujours plus sérieuses. Au-delà d’un jeu de mot et d’une participation à l’exercice de la fameuse phrase lumineuse, que vois-je dans la dernière pièce que l’artiste réalise pour écrire le mot néon avec du fil électrique au bout duquel une ampoule brille ? … certes une appartenance désormais familière à l’arte povera, à l’humour de Bruce Nauman et de ses descendants mais j’y trouve surtout de quoi m’y perdre. Ce qui est devenu pour moi, sans que je m’en rende compte, une sorte de critère d’appréciation. Être perdu mais guidé, les yeux dans l’inconnu mais que je sente encore comme une présence, une tension.

Ici cela pourrait être comme :

- une action qui échappe à la tautologie formelle qui devrait l’attendre.

- le résumé d’un poème nostalgique et néantisant. Un haïku, un casse-tête chinois (qui n’est pas étranger à son parcours de jeune artiste puisqu’un post-diplôme d’étudiant en art lui avait été octroyé en 200 (?) pour qu’elle poursuive et déroule ce lien à une pensée asiatique déjà féconde).

- une indomesticité de l’Idée, « Ceci n’est pas une pipe » (René Magritte)…

La main qui est tendue ici pour moi, en tant que spectateur, c’est la simplicité et l’accessibilité à la réalisation factuelle de l’objet. J’ai l’impression que j’aurais pu le faire… Nous pouvons tous faire de l’art. Je pense maintenant qu’il s’agit plutôt d’une distinction gracieuse et secrète de présenter son regard au monde, cachant habilement la réalité autrement plus complexe de faire aboutir des processus artistiques et celle de faire plier la matière à des fantasmes ou des contradictions personnelles.

J’imagine dans les gestes d’Alexandra Guillot une dévaluation consciente de la matière, comme pour mieux s’en jouer, une dépréciation active, qui lui permet beaucoup de liberté dans les matériaux utilisés, qui lui permet de « rehausser », de « rejoindre » sa vie aux poèmes épars qu’elle écrit. « Fragile, Fragile… » sont les mots que répètent sans cesse de longs scotchs déroulés, tressés habilement, recouvrant l’entièreté d’un parquet. Voici une pièce d’Alexandra Guillot dont on peut immédiatement saisir toute la dimension vibratile, reconnaissable entre milles, à la façon du scribe patient et méticuleux, conscient du mot, de convoquer les autres, les cachés, les « fragiles » : raboteurs, « galériens », manutentionnaires.


Qui n’eut pensé à telle intervention si ce n’est le poète, qui retrouve, sur le plus usité des appareils humains qu’est le sol, l’immensité d’une page ? Alexandra Guillot passe beaucoup de temps avec elle-même. Sinon elle travaille pour nous, régulièrement, de manière discrète, observatrice de certaines beautés, de certaines disgrâces qu’elle mentionne et conserve pour réfléchir à posteriori, pour penser des raisons de vivre. Je veux ici distinguer veux le dépassement réaliste des avant-gardes du XXe siècle et surtout, en sus-dit, la lucidité acquise d’un monde sociétal inégalitaire et auto-réprimé. Le récit journalier qu’elle avait entrepris lors de son séjour en Chine (qu’elle pourrait tout autant reprendre, aujourd’hui, en France) et dont je fus un des heureux lecteurs en est le dernier et parfait exemple : jamais l’artiste ne manqua de jaillir au milieu d’annotations intimes et d’élargir notre expérience affective à une expérience réactive, électrique, de révolte commune.


http://www.dailymotion.com/video/xg7vlc_silencio_creation

Sylvain Pack.

samedi 20 novembre 2010

Pour Luca Guadagnino, Tilda Swinton e loro Amore.

luca guadagnino
Amore est un titre osé, presque prétentieux. Il s'oublie aussitôt dès les premières vues glaciales de la ville de Milan sous la neige et se justifie au coeur de l'intrigue culinaire et sonore du film. Le maestro qu'a dû devenir Luca Guadagnino lors de l'intense complexité de sa tragédie, le place au niveau de ses illustres prédécesseurs italiens, chantres libres et engagés de l'après-guerre, réinventant le cinéma dans la rue, dans les studios, sous la menace ou en voyage... Le voilà, assez seul dans son genre, de l'autre côté de l'océan, sans oeuvre antécédente, face aux productions hollywoodiennes les plus ambitieuses, de Martin Scorsese à un plus jeune Paul Thomas Anderson, leur cédant quelques vocabulaires communs et les défiant soudain en grâce et en profondeur.

Dans ce cinéma spectaculaire, conscient de ses effets et généreux en artifices, la littérature semble pourtant s'immiscer et imposer une narration attentive. Evitant la pensée unique, elle dissimule son jeu, avec sa pluralité d'individus, de vies uniques et précieuses parce que l'écrivain s'attarde à leur existence réelle, méjugeables, indépendantes et intriquées, au milieu desquelles se dessine la passion amoureuse et irréversible d'Emma Recchi. Difficile de retranscrire ses impressions quand l'interprétation trouble le spectateur au point qu'il ait l'impression de se plonger dans l'être d'une femme et dans ses aspirations, et que toutes les images du film semblent passer par cette même sensibilité. C'est une longue histoire qui habite ces images, une amitié professionnelle qui lie Tilda Swinton, l'héroïne souveraine de ce roman filmique et Luca Guadagnino son réalisateur. L'obsession commune qui les motive depuis 10 ans est tellement simple qu'elle en est effroyablement ambitieuse : celle d'élire le sentiment amoureux comme le personnage central d'un film.


Grâce à cette chimère, à ce feu, j'ai eu la chance d'être emporté dans un flot de sensations et d'émotions, découvrant une kyrielle d'acteurs, chacun devenant irremplaçable. Pippo Delbono, metteur en scène de performances et d'un théâtre débridé, se métamorphose en patron-esclave d'une grande industrie de textile et se révèle d'une gravité saisissante. Ses fils et ses filles, en successeurs embarrassés deviennent si fragiles ou si forts que le tourment s'intensifie et éclate en brasier culturel et social. L'amour emportera tout, on le comprend peu à peu et de plus en plus sérieusement. Deux corps nus jouxtent leur épiderme, cotoyés par des insectes affairés. Une saison chaude, la menace de l'orage, la musique de John Adams sur laquelle certaines scènes ont été conçu, orchestrent le destin irrépressible de l'amour et scellent son plaisir à sa cruauté. Les ornements, les coiffures et les bijoux, tout cet appareillage illusoire accentue le contraste des sentiments. Argent, gemmes rares, porcelaine et nacre donnent à voir toute l'ambiguïté de leur rareté. Sidérant notre regard dans les endroits les plus sombres, les précieuses matières nous renvoient à la vacuité inéluctable de nos chairs, à la supériorité de nos sentiments et de nos choix. Ce film m'est devenu inoubliable.


Sylvain Pack.

vendredi 12 novembre 2010

Pour Patrick Watson, une "musique libre".

Patrick Watson
Je ne sais pas comment identifier ce qui me touche autant dans l'album Wooden arms de Patrick Watson. Je ne serai pas non plus comment éviter ma subjectivité émotive à la rencontre de cette voix vaporeuse, toujours attirée vers des circonvolutions plus aériennes. Avant Wooden arms , le son de ces musiciens aimait souvent à se perdre ou à se chercher. On y trouvait déjà le plaisir du passage, se spécialisant dans un art fluide, propre au glissement de terrains. Dans un même morceau, sans désinvolture, le groupe pouvait contempler froidement les eaux noires de l'écho et de l'oubli, empruntant, puis allégeant une valse psychédélique, et se retrouver soudain autour d'un couffin et lui offrir une berceuse tout aussi enveloppante.

Génération de stars vocales qui ne cachent plus ses références, qui ne tuent plus ses pères mais les mettent en avant jusqu'à revendiquer les mêmes textures, les mêmes formes, comme si ce lien manquait et qu'il fallait le combler. Arcade Fire portée par la fougue de The Cure, de David Bowie, Patrick Watson par Jeff Buckley, Pink Floyd... S'ancrer dans une musique récente, encore vivante, puis tisser des liens avec les prochaines, patiemment, en apprenant sur scène, en exerçant ses sensations avec le public. Se rendre poreux, travailler la surface, devant 5000 personnes, risquer la fragilité d'une ballade pour des amis croisés. Avoir l'impression que donner ce moment est plus important que de savoir le jouer.

Je parlais avec un ami, anthropologue sonore, de musique libre, terme qu'il semblait vouloir emprunter pour définir une musique décomplexée, tout un chacun jouant comme il peut avec ce qu'il veut donner pour entrer en relation avec l'autre. Ce qui n'enlève en rien au fait de savoir, de connaitre un air, un instrument. Bien au contraire, une musique libre comme une invitation à découvrir sa propre manière de jouer. C'est sûrement de là que Patrick Watson est parti et a pu rencontrer Lhasa de Sela pour nous offrir les compositions bouleversantes de Wooden arms. Lhasa est aussi une musicienne errante, d'origine canadienne, fille de voyageurs, prompte au jam partagé au détour de la route. Chemin d'amours et de solitudes douloureuses accueilli par la voix extraordinairement écoutante de Patrick Watson. Particularité rare de ces corps : instruments accompagnateurs, parfois si loin derrière et parfois si proche, sans jamais se dérober à la présence de l'autre.

Lhasa Patrick Watson
Sylvain Pack.

lundi 31 mai 2010

Pour Sylvain Pack, une machine à couper le beurre.

Que signifie être pour ou contre une personne publique ?

Une personne qui porte au public le produit de sa méditation devient la proie du jugement dès le premier et le simple fait de sa signature. Quand l'auteur signe, il triomphe de sa pensée et de sa production en indiquant sa parenté à l'oeuvre. Même s'il lui arrive de dévier sa parenté en recourant au pseudonyme, il lui sera difficile de ne pas être responsable. Or faire oeuvre, dévoiler sa recherche, la porter au flux et à son utilisation ryzhomatique peut faire disparaître cet auteur. Le temps s'écoule et ne retient rien mais l'humain choisit le plus souvent de garder des noms, d'écrire des chemins de pensée, de créer des écoles. Nous racontons, nous citons nos modèles, nous en faisons des masques mortuaires, des médailles et des billets. La démocratisation des stars, les entreprises d'académies de stars répondent à cette demande de reconnaissance et de souvenirs.
La création anonyme y répond d'une autre manière. Déstabilisante certes parce qu'elle demande à l'auteur de perdre son aura mais enfin soulagé de son obéissance aux codes claniques, elle s'invente des panthéons plus subjectifs.

La création amateur évoque la réalisation du projet communiste, viable et pérenne. L'envie de dissoudre les seigneuries régnantes et de partager les biens et les savoirs dans la communauté semble se réaliser dans cette histoire de l'art dont nous parlons. Cette histoire d'un art brut, d'un art des fous, des enfants et des animaux acceptés, cette histoire d'un art collectif, des regardeurs qui font le tableau. Cette histoire d''un spectateur émancipé est l'arme qui, insurgé contre le capital amassé, attire l'égalité.

Nos outils de communication, de relation interplanétaire et notre accélération démographique déplacent ces références et les exposent à un universel plus conscient de sa taille et de son interconnexion. Si, paradoxalement, l'auteur est confronté aux vertus grimpantes de cette pensée anonyme ou amatrice, il connait d'autre part l'accessibilité immédiate au réseau mondial. Qu'il le veuille ou pas, le résultat de son travail peut circuler et se modifier plus rapidement qu'à l'ère de l'imprimerie. Sa production est plus accessible, plus piratable, plus malléable. On peut en trancher une part sans difficulté. L'auteur est comme du beurre. Il se mélange à son oeuvre et y dissout son nom. Le produit peut dépasser l'auteur. Parfois, au contraire, l'oeuvre moribonde et égocentrée décapite la tête de son père et disparaît à jamais sans direction, sans cerveau pour la guider. Comment l'auteur se livre à l'oeuvre, comment il la porte ou la remue, comment il s'en extraie ou comment il s'en exclue est la nature même des réflexions des pour ou contre de ce blog.

Sylvain Pack

samedi 3 avril 2010

Contre Lucy et Jorge Orta, les arroseurs arrosés.

Lucy Jorge Orta
Evitablement, de nombreux artistes, vivant du marché de l'art et des entreprises qui y prospèrent, se font corrompre par la systématisation et l'abondance de leur production. Lucy et Jorge Orta sont de ceux-là. Artistes engagés dans le discours lénifiant des crises à venir et présentes (migrations, pénurie d'eau, souffrances vertes et bleues...) ils ne se veulent qu'actions, moteurs de réflexion et révolutions pacifiques. Pour cela, ils développent différentes actions collectives, tel l'accueil fictif de citoyens du monde munis de leur passeport universel en face d'une plage athénienne ayant reçu plusieurs embarcations clandestines durant ces dernières années. Lucy et Jorge Orta vous tamponnent votre passeport et vous pouvez vous installer manger à cette table soit disant "universelle" mais composée majoritairement d'un public de Biennale. Lucy et Jorge Orta gaffent même en précisant que cela serait catastrophique pour leur pièce qu'un navire clandestin débarque vraiment. Allez n'en jetez plus, Lucy et Jorge Orta sont des arroseurs arrosés !

Lucy Jorge Orta
Leur vocabulaire plastique est alors à l'image simpliste de cet engagement moraliste et institutionnalisé. Croix rouge, gourde percées, bouées de sauvetages, écritures... et bien sûr l'appareillage suranné de l'esthétique muséale contemporaine issu de l'arte-povera et dans leur cas semble-t-il de BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni) aussi bien sûr la voiture, la camionnette et l'éternel tente igloo. Comment est-il encore possible de croire et de prendre au sérieux ce type de gestes qui ne peut cacher son aspect mercantile derrière un tel langage conceptuelo-illustratif ? Le couple Orta se défend évidemment de devoir vendre des pièces "sculpturales" pour en faire d'autres plus "sociales".

Ce piège dans lequel est pris le couple Orta est emblématique en fait d'une question beaucoup plus large qui devrait trouver au XXIème siècle des échos et des réponses surprenantes. Romantisme, symbolisme, impressionnisme, expressionnisme, cubisme, dadaïsme, situationnisme, chacun de ses mouvements a tenté à sa façon de s'échapper de son milieu. Cassant des codes à sa mesure, transgressant les médiums, intellectualisant sa recherche, il y a clairement un lien entre eux et nous, une révolte, un refus ou une dénonciation. Le fait que le 19ème et le 20ème siècle soient en constante destruction et révolution de son langage plastique est significatif d'une accélération du temps devenu centrale pour les hommes. La figure de l'artiste en évadé peut nous faire entendre une volonté consciente ou inconsciente de ne pas se faire enfermé par celui-ci. Miroir d'un monde qui se réduit, qui chiffre tout rapport et pondère inexorablement notre histoire d'étapes, de tendances. Que les artistes peintres et plasticiens en épousent ou en détournent les formes, tous ont eu, et ont maintenant à se soucier de la manière dont l'histoire et le pouvoir se saisissent de leur production.

Robert Filiou
La question de la récupération et de l'utilisation de l'art devient caractéristique à la relecture des artistes qui tentent une percée de l'art inédite dans le monde du réel : Marcel Duchamp, Robert Filiou, Georges Maciunas, John Cage, Vito Acconci... En effet l'effacement de l'artisanat, du support ou de la signature pour un réel expérimentable peut apparaître comme une tactique d'évitement ou de mort clinique des oeuvres en musée. Concepts, plans ou partitions sont des formes qui défient la sacralisation de l'art et la consommation culturelle. Si ces artistes s'y sont essayé, était-ce si innocent ?

Pour Lucy et Jorge Orta, comme pour beaucoup d'artistes contemporains, toutes les esthétiques développées par le XXème siècle sont un grand sac où il est bon de se servir tant qu'il s'agit de se faire identifier et de faire passer son message. Un einième geste publicitaire dont on pourrait se demander si les penseurs de fond ne sont pas les commanditaires. Mettre en spectacle sa révolte écolo-humaniste est typiquement ce qui conforte et habille de bonne conscience les structures culturelles, le ministère de l'environnement, de l'éducation voire de l'immigration...

Sylvain Pack

samedi 26 décembre 2009

Open forms, new economies


Un siècle de libérations, de coalitions et de spéculations a suffi à l'art pour se hisser au rang, anciennement méfié, de production culturelle et politique influente. L'artiste est aujourd'hui ingénieur, peintre, maçon, prostitué, alter-mondialiste, hacker, chef d'entreprise, commerçant, sportif, plombier, traveller, publicitaire, acteur de cinéma, top-model, enfant, animal, performer... il est tout ce qu'est un chacun. Il suit à rebours les remarques mythiques d'Andy Warhol et de Joseph Beuys, l'un préconisant le quart d'heure de célébrité individuel et universel, l'autre scandant la possibilité pour chacun d'être un artiste. Il se multiplie dans tous les corps de métier, il engendre des écoles, des institutions, des fondations, des festivals... Il est entré bruyamment dans la société du monde et le monde des affaires pour y tenir une place convoitée et rayonnante. Il y est aspiré, élu, libéré.

Les productions de l'art sont quant à elles répertoriées, quantifiées et évaluées selon des critères pour le moins tenus secrets dans différentes castes qui se regardent en chiens de faïence et ne manquent pas de rivaliser à grands coups de réceptions de prestige, de prix honorifiques et de ventes mythiques. On pourrait donc assez vite ajouter dans la liste du "tout un chacun artiste" l'existence de marionnettes conceptuelles dont la créativité ne pèse pas ou si peu face à ses actionnaires. Les circuits entrelacés que sont ces milieux d'acheteurs, de diffuseurs, de commissaires et d'artistes continuent de catégoriser et de chosifier le flux créatif alors que leurs citations peuvent aller hypocritement à ceux qui plient et rendent l'art à la vie. Syndrome occidental presque chrétien que de se cacher et de s'organiser derrière l'image du rédempteur ?... mais les poètes persistent, anti-héros de leur ère, continuant à emboiter le pas sur la pensée. Les musées, les théâtres, les éditeurs se doivent de réfléchir là comme les antécédentes maisons de disques. La production musicale a bouleversé son support à de nombreuses reprises et à plus d'un titre. L'innovation sonore, affranchie de ses anciens codes et les réinventant sans cesse, semble formuler de nouvelles économies humaines. Des musiciens et compositeurs tel John Cage, Moondog, Luc Ferrari ou Cornelius Cardew ont su rendre à la production une nécessité vitale, accessible, sans la sacrifier à l'hymne ou au refrain, sans en ôter la complexité sensible.


Aujourd'hui les ramifications de la recherche sonore sont innombrables et l'exigence de leur mouvement s'infiltre dans tous les domaines urgents de la vie. Le noise, le streaming, la fusion, le slam, la phonographie visitent et fructifient la biologie et l'écologie, la communauté et son organisation.
La moitié du vingtième siècle a vu ainsi apparaitre des formes ouvertes dont on retrouve partout l'efficacité et l'espoir d'attentions accrues. Je citerai pour ma part, et ceci, vu d'un seul angle de la planète, la naissance de médiums ("langages") efficients et circonscrits à l'expérience et aux dévouements de vies entières : la danse-contact, le théâtre-forum, la poésie sonore, la performance, pour et par lesquels l'homme peut accéder à d'antiques intuitions et communions de sa présence au monde.

Il n'en faut pas moins de conviction et de détermination pour conjurer la nuit dans laquelle l'homme s'est plongé, de force et d'humilité pour mépriser ses "conseillers perfides". La volonté de contrôler ce monde, de l'asservir et d'en disposer arrive à son "climax". Refuser de voir cette violence politique internationale serait une ignorance tout aussi réprimable que de penser que les "sans-abri" sont responsables de leur suicide social.

Quant à ces nouvelles pratiques, elles sont prêtes à l'emploi, toutes idéales pour accompagner la décroissance ou le refus de coopérer à la destruction de notre expérience. Elles comprennent et s'invitent à l'exploration scientifique, au développement technologique. Leur alliage peut s'affiner en de solides résistances inter-humaines. Plus elles seront nécessaires à la survie de notre communauté et plus elles seront inutiles à son exploitation et à son individualisme.

Sylvain Pack

jeudi 9 juillet 2009

Pourquoi la droite n'aime pas la drogue ?



La droite n'aime pas la drogue parce qu'elle n'en connaît pas les vertus ou tout au contraire, parce qu'elle en jouit pleinement en secret, sans recul aucun. Effectivement quel chef d'état ne connaît pas aujourd'hui le petit suplément d'assurance que pourrait lui apporter des amphétamines, de la cocaïne ou de l'héroïne. Alors oui, de nouveau la plupart de ces pouvoirs en place, et notamment cette Europe de droite principalement fondée, se fait valoir par sa plus mauvaise foi. Le terme convient... N'y a-t-il pas derrière ces législations et ces punitions une forme toute choisie de moralité aveugle, préconisant le bien de tous afin de mieux s'attirer les faveurs de ses croyants et d'en manipuler le plus grand nombre ?

Mais la droite ne bénéficie pas qu'en catimini des bienfaits de ces médecines. Son apparente scandalisation quant à ses effets ravageurs sur "notre jeunesse" n'est qu'une façon de plus pour masquer le gigantesque cambriolage des peuples dans laquelle elle s'est spécialisée depuis soixante ans. En plus des excès de vitesse, des sanctions sur internet, de la création d'une police de propreté, la droite, étalant son hypocrisie aux yeux de tout un chacun, renforce son combat contre la drogue et renfloue ses caisses grâce à de nouvelles dîmes.

La main droite, celle qui dirige le plus souvent, détient fermement les clés de l'Europe en ce début de siècle. Elle n'est pas prête à les relâcher de sitôt, quoiqu'en disent des socialistes rassérénés d'idéaux. Elle l'a remportée au prix d'un désastre humain dans lequel s'illustrent les périodes parmi les plus accablantes de notre histoire : les guerres mondiales, la guerre froide ou l'instauration d'un Tiers-Monde. Berlusconi, Sarkozy, pour prendre les présidents européens les plus tape-à-l'oeil, ne sont pas des êtres égoïstes et névrosés pour rien, ils ne vouent pas un culte à la réussite sans raison. Je veux dire par là que le terrain est préparé à leur arrivée. Anciens mussoliniens et autres figures fascisantes avec qui il faut obligatoirement traiter pour monter les marches... Je ne parle pas de marionnettes mais pense plutôt à des familles, à des entreprises et enfin bien sûr aux banques historiques qui ont orienté et orientent toutes les grandes manoeuvres politiques par le poids de leurs finances. Le sujet devrait ici se corser et je ne pense pas avoir besoin d'être dans les secrets d'état ou de paradis fiscaux pour couronner mon résultat, je me contenterais de m'appuyer sur l'histoire récurrente et machiavelique de la manipulation des plus forts sur les plus faibles. Avancer une telle relation pourrait-on me dire relève de la diffamation et de l'ignorance. J'insiste alors en vous proposant un temps pendant lequel la main d'un droitier n'est qu'un outil de vengeance déguisé sous un gant à facettes, ondoyant et renvoyant mille réalités autrement plus malheureuses, telle par exemple le visage de son porteur fatigué et distrait par des hallucinations avec lesquelles il s'entretient. Tantôt Dieu le rassure et le pardonne, tantôt le diable lui soumet de nouveaux projets. Prisonnier alors de visions éculées, il s'en retourne hagard et livide, la main gauche amputée, sans passeur, sans chamane pour lui expliquer le délire haineux dont il a été responsable.

Les drogues sont des aliments, des boissons, issus de végétaux intelligents. Elles provoquent des effets, elles nécessitent équilibre et excès, connaissance des saveurs et des mélanges. L'ivresse du vin est éminément liée à la qualité de son crû et de sa fermentation. La vibration mondaine et chaude du vin emporte les gens dans un dialogue festif et fraternel. Le haschich sensibilise à la connaissance et fait danser la psyché. Les psychotropes approfondissent la vue...

peyolt

Je ne vois finalement qu'une raison qui empêche l'éducation, l'histoire, la légalisation de plantes sacrées en Europe mais qui favorise son exploitation pharmaceutique, les cartels et sa criminologie : la concurrence. La concurrence trop puissante sur ce marché et le retard économique considérable de notre vieux continent, qui a mis des années à combattre et à rationaliser des pensées par trop "sauvages".

Sylvain Pack.

lundi 18 mai 2009

De l'importance de l'obscur.


esoterisme

Le peuple est l'entité la plus manipulée, la matière la plus sûre et la plus passionnante à expérimenter. Elle se quantifie, s'évalue, se vérifie et ce plus nettement depuis que les organes de pouvoir tel que le nazisme ont pu testé librement l'industrie à des fins d'éradication humaine. L'élimination de masse a permis de grands progrès dans la numérisation des déplacements humains; elle a favorisé une forme de déshumanisation ultime, rendant l'acte barbare à une activité distante et professionnelle de comptable. Les prémices de cette atrocité à l'égard de notre propre espèce remontent à la nuit des temps et les thèses conspirationnistes sont à ce propos très éclairantes. Bien sûr leurs provenances sont souvent douteuses, ce qui fait paradoxalement leur qualité (la difficulté de connaître l'origine de leur divulgation). Une provenance multiple.

esoterisme

Notre nouvelle ère semble proposer des canons d'expressions uniformes, tous issus, bon gré mal gré, d'utopies politiques et religieuses organisant une occupation terrienne globale. Qui oserait douter aujourd'hui que ce canevas n'est pas déterminé par les grandes puissances économiques régnantes et que leur mise en réseau et en concurrence est achevée ? Le sentiment public de n'être qu'un pion dans ce jeu est aussi de plus en plus partagé. Pourtant ce type de scénario était déjà circonscrits depuis un siècle par ces fiers adolescents que sont les auteurs de science fiction. Parmi eux, nombreux qui n'hésitaient aucunement à piocher dans différentes mythologies, à en réactualiser d'autres, mais aussi à imaginer des intrigues toujours plus démoniaques pour permettre de lutter contre les monstrueuses corporations. Vous m'accorderez qu'il est aujourd'hui bien difficile de séparer le réel de la fiction. Toute notre génération n'est-elle pas pétri de cette confusion, même ceux qui se sentent piégés "du côté obscur de la force" ?

L'obscurantisme pour autant n'est pas souhaitable et les conspirateurs et révolutionnaires de tout bord le savent bien : le culte de l'équivoque et toute bigoterie aveuglent l'instinct du penseur et de l'assaillant. L'obscurantisme est un mode de dilution de l'intellect et de divertissements utilisé par les médias corrompus, le show business, la publicité et la propagande cinématographique. Les ennemis ne se sont jamais autant clairement définis. L'étau se resserre. Ils le savent et c'est pour ça qu'ils se protègent, qu'ils crient fort, au scandale, au délitement social et à l'ordre !

Tandis que nous les derniers informés, les cobayes de l'indutrie agro-alimentaire, de la nourriture transgénique, des virus autant que de leur vaccin, du néo-urbanisme et des nanotechnologies militaires, nous pouvons lire et nous instruire encore, malgré l'augmentation des heures de travail et l'asservissement organisé à cet effet. Nous puisons dans le gigantesque esotérisme multiculturel de l'histoire qui se révèle de toute utilité. L'obscurité dans laquelle se nichent les codes secrets de notre joie est une brume épaisse et amicale dans laquelle on peut apprendre à se déplacer, acclimaté par l'utilisation fréquente de la contradiction, de la confusion et de la complexité. On y protège ses sources des yeux mécaniques et des autoroutes brillantes. On y trafique. Enfin pour défendre le transport des recettes les plus rares, on entretient sciemment ce brouillard, quitte à y emprunter un camouflage.

Sylvain Pack.

dimanche 29 mars 2009

Pour Matthieu Montchamp, peintre impoli.


Je connais deux peintres qui aiment l'action de peindre et dont les calculs et les problématiques ne visent pas que le seul public. Le premier, dont je vais essayer dans cet article de tenter une approche idéelle s'appelle Matthieu Montchamp. Je regarde son travail depuis une dizaine d'années et, à chaque visite de son atelier, il me semble comprendre la nécessité ou l'évidence que cette peinture soit. Autrement dit que les choix draconiens de Matthieu Montchamp, dans ses évacuations, ses violences et ses repentirs, imposent au spectateur une vue inimitable sur notre condition humaine.
matthieu montchamp

La condition humaine est un terme risqué pour aborder le chantier pictural de ce peintre qui a commencé son travail par des architectures et des désarchitectures. Soupçons et doutes quant aux bienfaits de la perspective étaient déjà les menaces de ces compositions blanches, grises, vertes et violettes comme pour répéter ou conjurer la faillite monotone de notre nature. Et pour poursuivre sur cet ambiguïté du rapport humain , je me rappelle que presqu'aucune de ces architectures ne pouvaient accueillir des hommes. Majoritairement des volumes de ciment ou de pierres, des imbrications fausses, au mieux des piscines ratées mais presque jamais je crois des habitats. Ou plutôt le contraire d'un habitat, la négation des immeubles dans le regard méprisant et confus d'un peintre d'alpages. Loin de moi ici l'idée d'un orgueilleux croûtassier solitaire mais plus un clin d'oeil aux peintres de la retraite, à certains romantiques, exilés volontaires que Matthieu a dû analyser.



Puis le concept a laissé place à la matière, l'artiste à l'humain, l'espace au sujet, le minéral à l'organique. Ces peintures à l'huile se sont concentrées, endurcies. La palette précise, rigoureuse, le geste plus ample, des choix plus fermes ont laissé apparaître de larges représentations, aussi généreuses qu'énigmatiques, de maquettes absurdes, de sculptures idiotes et contradictoires. Robes sans corps, entassements inquiétants entre sandwichs kebab et briques de parpaing, puzzles iconographiques... Je pourrai sans doute continuer cette liste de fragments d'idées et de références mais cette amoncellement trahit l'idée plus précise d'une satire argumentée par un style agressif, ostensible dès le premier regard.



Ma dernière invitation à son atelier confirme ce point de vue. Le peintre insiste dans ses visions, il a besoin de notre regard mais seulement pour partager le chemin déjà parcouru. A l'inverse de la tragédie colorée de Mark Rothko (des tons chauds et clairs déclinant vers l'obscurité), Matthieu Montchamp jette soudainnement des couleurs crues sur ce voyage en Absurdie d'où l'homme a encore disparu, laissant la trace de ses actions et de sa présence comme le fantôme d'un terrible loisir. On y décèle des cabanes abandonnées sur des tubes de pvc, des totems effrayants et comiques (...) Porte-manteau, méduse ou Baphomet ? Des objets domestiques rendus à leur plus fatale inutilité, agencés à la manière de monstres goguenards, de grimaces sociétales.

Sylvain Pack

jeudi 12 mars 2009

Pour Tante Hortense et l'air qui l'inspire.

tante hortense

A Marseille, c'est un nom qui fait son chemin, entre les espaces verts invisibles et les ruelles d'un port souvenu. On peut saisir sa chance si l'air qu'il siffle traîne chez des amis. Il suffit de vous en rappeler et de le recroiser par hasard. Il vous invitera peut-être à l'entendre de plus près dans une maison construite en haut d'un immeuble. Il vous sourira sans vous connaître et vous le répètera un peu plus tard, au cours d'une chanson, qu'il aime cela, sourire aux gens, trouver de l'amour dans les yeux de tout un chacun, lui sans doute parvenu à cet honorable statut qu'est le pauvre type.

De pauvres types, il en est de bien vénérables, atteignant à force de secousses et de renoncements, d'acceptations et de lenteurs, une présence au monde tout à fait identifiable. Celle fragile ou dangereuse des êtres qui veulent expérimenter pleinement l'espace et le temps qui les environnent, les relations qui s'y tissent et s'y défont, au risque de s'abîmer, d'être incompris dans cette passion, de se retrouver seul dans cet abandon personnel. Tante Hortense semble inviter à ce temps, choisissant ses mots hors de la maison, les enroulant dans le collier des chansons qu'il défile depuis dix ans. Maintenant qu'il n'est pas bien connu, qu'on lui organise des concerts et qu'on l'entoure de plantes, de fleurs, à la façon dont on fêtait le vernissage des tableaux d'Edouard Manet, qu'on lui ramène des abats-jours décorés en guise d'éclairage de scène, sa voix se jette à l'envers de la mode, dans le silence d'un public détendu, respirant le même air, partageant boissons, sucre et chocolats. Sa main dans une cuica, sur un tambourin, il nous réunit par des paroles sur les routes d'émotions immenses et libres puis il laisse envahir son chant de notre écoute et de nos rires et se déploie dans quelques transes ou quelques farces, va savoir... Nous vivons des moments adorables avec Tante Hortense et ses amis. Il n'est pas question de les oublier dans des rues réelles et désolées de cités bien plus cyniques que leurs provocations joyeusement distillées dans ces sambas libertaires; recommandables par exemple à ceux qui ne reconnaissent plus d'authenticité, ni de marginalité à la chanson française.

"Les disques Bien" sont la suite logique et profanatrice de ces énergies singluières (Tante Hortense et ses amis, Flop, Eddy Godeberge, Mjo, Etienne Jaumet...). Leur label cohérent remonte les bretelles d'une industrie musicale rongée par la publicité et le gain en démontrant des différences toutes relatives et cependant essentielles : - l'autonomie de ses artistes - la tranquilité de ses artistes - l'art de ses artistes.


"Je ne veux pas d'un avenir, je veux un présent." Robert Walser


Sylvain Pack


dimanche 8 février 2009

Le désappartement.


A Nice, en 2004, sous l'impulsion de Robin Decourcy, bientôt suivi par Tristan Looa, David Carmine, Ludovic Corberand et Djonam Saltani se créera un lieu d'expériences uniques et déroutantes: "Le désappartement". Ces derniers, jeunes artistes et invités de passage, y vivent de manière fugace et anonyme. Le lieu est vide et plein à la fois. Après quatre ouvertures au public, le désappartement sera rendu totalement transformé à ses propriétaires, un couvent de dominicains et la Mairie de Nice... l'Eglise et l'Etat en quelque sorte, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes. Pour m'y être rendu à chaque fois et pour avoir goûté à bien d'autres énergies collectives émérites tel que la Station, la sous-station Lebon, les Diables Bleus, 3 initiatives artistiques cohérentes et engagées qui se sont vus finalement dissoutes voire détruites par leur propre ville, je peux témoigner de l'extraordinaire et de l'empathie que dégageaient les réalisations de ce lieu d'art et de vie.

Qu'un appartement puisse servir de support à l'art n'a rien d'un fait nouveau, du premier musée d'art moderne aux Etats Unis fondé par Katherine S. Dreier et dont Marcel Duchamp était le président aux galeristes débutant leur pratique à domicile, l'exposition d'art a eu le temps de s'accommoder de toutes les contraintes de l'habitat humain. En revanche que l'habitation devienne elle-même l'expérience artistique est un fait plus rare et il en est resté de troublants souvenirs, difficilement conservables, souvent disparus ou retournés dans la sphère du privé. La Totes Haus U.R, le Merzbau, la Whitehead's House, le Conical Intersect, autant d'oeuvres poussées à leur paroxysme formel et qui, pour chacune, semble s'être révélée au public comme une pièce maîtresse de leur auteur.



Ici, première surprise, l'auteur est multiple, l'oeuvre fragmentaire, en cours, active dès la reprise du lieu. L'ancien propriétaire, un archéologue décédé il y a quelques années, a laissé dans l'appartement de nombreux éléments personnels: photographies, restes de fouilles, livres, documents papier... Les artistes déploient les souvenirs, les analysent, les ingèrent et semblent aussitôt utiliser la méthode découverte. Evitant la morbidité futile d'exposer ces objets fragiles, ils décident presque inconsciemment de simuler le procédé de recherche archéologique et d'opérer directement sur le bâtiment : papier-peint, mur, caches, plinthes, palimpsestes, fissures seront leur matière et leur vocabulaire. L'orientation est manifeste, son sujet sera la révélation de l'espace vital et vécu.

« Le 2 rue hôtel de ville nous a toujours été étranger. Il constitue pourtant notre premier abri, protection contre le froid, contre le chaos urbain, le bruit et les intempéries (...) Le désappartement (the diflat) scelle nos divergences, clame notre silence artistique. Il n’y a aucune volonté thématique mise à part une attention chronique, ‘a guarantee of sanity’ (Louise Bourgeois), portée à la relation humaine (...) Distance de cloison pas si épaisse, car à force de gratter au lieu de recouvrir, le mur pourrait devenir panpsychisme (...) Dessus le ‘Lynch’ naturel de l’entrée (papier-peint fleuri, jaune et cramoisi) un arbre a été tranché et vous ne le verrez peut-être même pas car un autre s’y dessine, au scotch, au cutter, à l’encre de chine. (...) L’entretien du lieu de vie est devenu une activité artistique. Le mouvement qui y confère crée des solutions utilitaires et domestiques improbables, simplifiées. Le mouvement vers une harmonie plastique fait ici pour l’instant la soustraction du gadget, du luxe. Il est fécond en images et en sons (...). Dans la chambre près du salon une tapisserie de photos de voyage a explosé sur le plafond et les quatre murs...»

Textes ~ tristan Looa, gérald Panighi, robin Decourcy extraits du site internet "le désappartement" réalisé par florent Bonnet:

http://i.1asphost.com/desappartement/desappartement.swf


Sylvain Pack.

mardi 3 février 2009

Pour le cathartique, le misérable, le scatophage, le saignant Jean Louis Costes.


jean louis costes

Evidemment les performances à caractère chamanique et sexuel de Jean Louis Costes ne sont pas aujourd'hui diffusées dans les institutions conventionnées. Sa réputation ou sa discrétion médiatique n'est pas tant de sa volonté mais plutôt de la crainte que provoquent ses explorations psychiques et organiques. Même si nous pouvons rappeler assez facilement aux plus jeunes qui nous écoutent que de nombreuses fêtes païennes ou sacrées, propre à chacune de nos cultures (latines, grecques, celtes, africaines, amérindiennes...), étaient spécialement organisées pour libérer nos tensions retenues en de puissantes explosions orgiaques partagées par toute la communauté, nous devons aussi leur préciser que le but recherché était justement celui de réguler la violence propre à l'humain dans sa société.

Ne croyez pas pour autant que ces méthodes ont été oublié. Bien au contraire, les systèmes de défouloire ont été tout à fait intégré à notre société de consommation. Ainsi les loisirs, le sport et la culture font le maximum pour donner l'illusion de cette liberté communautaire retrouvée... mais comment et où, au juste, retrouver le temps et l'espace de cette rencontre ?
Hakim Bey a, par exemple, pensé aux TAZ (Zones Autonomes Temporaires), les travellers et les techno-tribes ont eux répondu par des free-party. La Rainbow Family ouvre à quiconque ses grands rassemblements d'amour et de paix. Jean Louis Costes s'offre quant à lui, depuis une trentaine d'années, des petites transes en cave avec quelques uns de ses fidèles, partageant avec eux projections gastriques et névrotiques.

Le public présent semble tout à fait disposé à se faire peur ou à regarder de plus près ce qu'il n'oserait partager lors d'une discussion en plein jour. Il faut dire que Jean Louis Costes est rapide et a l'amabilité de nous mettre très vite sur un plan d'égalité psychique. Effectivement il lui faut en général à peine deux minutes pour nous saturer de toutes les pathologies possibles et développables à partir des origines de notre conception, de la formation de notre sexualité à l'exploration de notre fécalité. Les tabous tombent si violemment et si "bête-ment" que les spectateurs n'ont peu le choix entre rires, larmes, dégoûts et stupéfactions.

A force de don et de catharsis, usé à toutes les caves et tous les squatts, Jean Louis Costes parvient à tordre son égo à d'étranges simulacres. Bien plus christiques encore. L'exhibition de son corps souvent nu, le jet fictif de ses excréments sont autant de signes de distribution compassionnelle et d'amour spectaculaire et bilatéral. Il le confirme par ailleurs dans des interviews pendant lesquels il semble succomber et regretter de dire son saisissement et ses accointances spirituelles face au crucifix. Ses mots sont à cet égard sans malentendu mais son visage souffre et ne s'amuse pas de cette reconnaissance. Alors que regrette ici Jean Louis Costes ? Vit-il la douleur de son premier assujetissement symbolique ? Y voit-il le paradoxe d'un dieu humain qui a racheté nos péchés mais à partir duquel on aurait instauré l'organisation pyramidale de notre société ou saignerait-il vraiment pour la première fois, face aux bourreaux tant haïs de la "masse média" ?


Sylvain Pack